Claire Miot, Thomas Vaisset, Paul Vo-Ha (dir.), Cessez-le-feu, cesser les combats ? De l’époque moderne à nos jours, collection « War Studies », Presses universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq, 2022, 305 pages.

Par Nicolas Patin.

Le volume 12 de la collection War Studies des Presses universitaires du Septentrion est la publication des actes d’un colloque qui s’est tenu à Vincennes en novembre 2018, et qui s’intéressait, au sein de la guerre, à un moment oublié : celui de la reddition. En effet, comme le précisent la directrice et les co-directeurs de l’ouvrage, tous jeunes chercheurs spécialistes d’histoire militaire, le moment où l’on « se confesse vaincu » est un angle mort des études sur la guerre.

On pourrait croire, en effet, qu’avec la multiplication des travaux sur les « sorties de guerre »  – l’expression de Bruno Cabanes utilisée pour 1914-1918 ayant fait florès –, on en sait plus sur ce moment si particulier où les armes se taisent. Mais c’est se tromper d’échelle. Car l’analyse des « sorties de guerre » réfléchissaient à grande échelle sur l’histoire des relations internationales, l’histoire sociale de la violence… mais pas sur la « micro diplomatie de terrain » et la « sortie de combat ». Interroger les modalités de cette sortie est l’ambition de l’ouvrage qui montre en introduction, comme il se doit, que cette question a connu une véritable « éclipse historiographique ». Si l’on comprend depuis maintenant trente ans la guerre comme un fait culturel à part entière, avec ses rites, et la violence « comme une socialisation », la nouvelle histoire militaire, matinée d’histoire culturelle, a laissé de côté le moment de l’achèvement des combats. On sent dès la très dense introduction, qui prend des accents de véritable manifeste historiographique, toutes les pistes que peut ouvrir une telle démarche.

En s’intéressant aux « contacts entre combattants pour tenter de sortir de la violence » (p. 13), c’est tout une relecture de la violence de guerre qui s’opère : oui, la guerre est faite de barbarie, d’anéantissement, de transgressions cumulatives ; mais cette lecture qui s’est progressivement imposée en histoire contemporaine dans l’étude des deux guerres « totales » de 1914-1918 et 1939-1945, empêche de voir tous les autres aspects : la guerre peut aussi être comprise par un « modèle transactionnel », plus à même d’éclairer la reddition comme un acte d’« échange et [de] transaction » (p. 17). Toutes les formes de rationalité opérationnelle, y compris au sein de la violence extrême, s’en trouvent mieux mises en valeur. La remise en cause du potentiel de brutalisation des conflits guerriers n’est pas loin, et les auteurs soulignent que si la captivité de guerre a beaucoup été étudiée, les « issues négociées » sont, elles, portion congrue.

L’ouvrage compte treize contributions, dont une en anglais, et s’intéresse – là encore comme parti-pris assumé dès le début – à toutes les formes de guerres, petites ou grandes, régulières ou irrégulières. Le décloisonnement opéré entre histoire moderne et histoire contemporaine est fondamental, porté par la présence de Paul Vo-Ha, qui avait déjà publié un ouvrage sur le sujet (Rendre les armes. Le sort des vaincus, XVIe-XVIIe siècles, Champ Vallon, 2017). La moitié des contributions ressortent de l’histoire moderne. Non seulement ce décloisonnement permet de penser les rites de ces « sorties de combat » depuis la modernité, mais il devient possible d’analyser des formes qui sont, dit encore l’introduction, d’une remarquable constance « sur le temps long », de « grandes permanences » (p. 32).

Les études de cas soutiennent bien la démonstration. Ainsi, dans un contexte aussi difficile que la Vendée des années 1794-1795, Anne Rolland-Boulesteau montre comment l’envoi de « missionnaires de la paix » par la Convention nationale aboutit à des réussites : grâce à un fort « empirisme pacificateur » des émissaires, la sortie de combat prend la forme d’un « bricolage » plutôt efficace (pp. 118-119). Cette pacification, également fille de la lassitude des deux camps, apporte un sérieux démenti à la thèse « radicale et simplificatrice » du génocide (p. 122). Il n’y a cependant aucune automaticité dans les chances de succès de ces acteurs du cessez-le-feu. Ainsi, dans le cas des accords d’Évian qui mettent fin à sept ans de conflit, le cessez-le-feu ne fonctionne pas, comme l’analyse Soraya Laribi. Était-il impossible ? Chaque camp en présence était traversé de fractures internes, qui « réactiv[aient] en permanence le conflit » (p. 248).

L’ouvrage, en grande majorité centré sur la France, mais s’autorisant des excursions italiennes (Julien Guinand) ou allemandes (Fabien Théofilakis), apporte donc un regard fructueux aux études sur la guerre, alors mise en valeur comme une relation entre belligérants qui « laisse une place au dialogue et à la négociation » (p. 264). C’est ce qu’apporte la focalisation sur ce moment-limite des combats : l’adieu aux armes.