Éric Lehmann (dir.), Alliées et rivales. L’Italie et la France dans la Grande Guerre, UGA Éditions, Grenoble, 2021, 246 pages.

Par Nicolas Patin

Dans le déluge éditorial autour du Centenaire de la guerre 1914-1918, si on ausculte les publications scientifiques du point de vue international, certains pays ressortent par leur omniprésence – l’Allemagne, les États-Unis – quand d’autres brillent par leur absence : la Russie, mais aussi l’Italie. 57 ouvrages scientifiques se sont ainsi intéressés à l’Allemagne entre 2012 et 2018, contre six pour l’Italie[1]. Qui plus est, ces récentes publications étaient souvent centrées sur l’expérience des simples soldats, sur les témoignages, mais assez peu sur les questions classiques de relations internationales.

L’ouvrage dirigé par Éric Lehmann (†) comble un vide en s’attaquant de front à plusieurs de ces questions, à travers onze contributions, dont la moitié est traduit de l’italien et donne ainsi accès aux dernières découvertes historiographiques des collègues transalpins. Si certains chapitres reprennent les questions d’histoire sociale autour des travailleurs italiens en France, d’autres apportent d’intéressants développements en histoire militaire, sur la coopération des différentes armes franco-italiennes, et une large part est fait à la question de la « sortie de guerre », des traités et de la mémoire de plus long terme de la guerre, autant de thématiques souvent traitées depuis la question du fascisme italien, mais assez peu depuis la question des « traces de guerre », titre de la troisième partie. Ce faisant, le collectif souhaite écrire une histoire militaire et politique, pour réinsérer l’Italie dans une écriture transnationale du conflit : que la recherche ait évolué dans cette direction depuis des années est un fait ; que l’Italie soit portion congrue dans ses réflexions en est un autre.

L’ouvrage est ambitieux : dans sa facture, irréprochable – il comporte un index nominatif, un cahier d’illustrations – mais également dans sa volonté de faire date historiographiquement, comme lorsqu’une contribution, s’il ne fallait en éclairer qu’une seule, décide de réévaluer l’idée pourtant couramment admise de « victoire mutilée ». Antonio Varsori s’interroge ainsi sur les contours de la puissance italienne au sortir de la guerre : dans sa conclusion, il estime que le pays sort de la guerre en accédant « au rang de grande puissance – certes la moins forte de toutes », mais tout de même auréolé d’une victoire à mettre au crédit de la classe dirigeante de l’époque libérale ; le fascisme, malheureusement, allait en recueillir les fruits (p. 131). Plusieurs chapitres s’intéressent réellement aux circulations et confrontations entre les deux pays, montrant les amitiés et les frictions dans les armées, ce qui n’est pas sans rappeler les travaux de Franziska Heimburger sur la coopération anglo-française dans les tranchées de 1914 ; simplement le présent ouvrage le fait plutôt avec les outils de l’histoire militaire et de l’histoire des techniques, qu’avec ceux de l’histoire des mentalités ou de la linguistique. Il n’en offre pas moins un panorama intéressant des coopérations au niveau du commandement comme à l’échelle opérationnelle.

On l’a compris : cet ouvrage collectif apporte beaucoup, et permet de réinsérer l’Italie dans le « concert des nations » historiographiquee, pour progresser vers une histoire transnationale plus exhaustive.

[1] Arndt Weinrich, Nicolas Patin (dir.), Quel bilan scientifique pour le Centenaire 1914-1918 ?, Sorbonne Université Presses, Paris, 9 février 2022, p. 288.